Swissgrid construit des pylônes et des lignes qui doivent être opérationnels pendant 80 ans. Cette durée de vie exceptionnellement longue contraste fortement avec l’évolution extrêmement rapide du secteur de l’énergie dans son ensemble. Ce dernier impose des exigences élevées à toutes les entreprises de la branche, y compris Swissgrid: nous devons faire face à de plus en plus de défis en ce qui concerne la surveillance et la conduite du réseau. En raison du virage énergétique et de la dynamique des marchés de l’électricité, toujours plus axée sur l’immédiateté, les opérateurs sont dans l’obligation constante de s’adapter aux nouvelles situations du réseau.

La science des données («Data Science») constitue une réponse à cet environnement complexe. Elle permet de traiter des quantités importantes de données, de reconnaître les modèles ainsi que les corrélations et permet ainsi d’émettre des prévisions fiables. La science des données est pluridisciplinaire. Elle fait en effet appel à des méthodes issues de différents domaines tels que les mathématiques, les statistiques, l’informatique, ainsi qu’au «Machine Learning» en tant que forme d’intelligence artificielle.

Swissgrid a acquis de l’expérience dans l’utilisation de la science des données grâce à divers projets pilotes, dont le projet «Probabilistic Nodal Load Forecast», élaboré par Tim Rohner et Koen van Walstijn dans le cadre respectivement de leur mémoire de master et de leur doctorat. Le projet a non seulement livré des résultats intéressants, mais, et c’est tout aussi important, il a également permis d’apporter de l’expérience dans l’utilisation de la science des données au sein de l’entreprise. Ils nous expliquent leurs résultats et les difficultés rencontrées dans un entretien.

Dans l'interview: Koen van Walstijn (à gauche) et Tim Rohner (à droite)
Dans l'interview: Koen van Walstijn (à gauche) et Tim Rohner (à droite)

Tim et Koen, quelle était la problématique de votre travail?
Tim: Notre objectif était de démontrer très précisément pour chaque nœud à quel niveau les injections et soutirages dans le réseau de transport peuvent se situer à un moment déterminé dans un futur proche. Concrètement, nous devons nous représenter le réseau comme des graphiques constitués de lignes et de nœuds. Les lignes sont les lignes électriques, les nœuds sont en grande partie des sous-stations. Au niveau de chacun de ces presque 250 nœuds du réseau suisse, il y a du courant qui entre ou qui sort. Nous voulions prévoir précisément ces flux d’énergie (appelés charges nettes) pour chaque nœud, car ces prévisions constituent une base importante des calculs de la sécurité du réseau. À cet effet, nous devons tenir compte dans notre modélisation du fait que les nœuds ne doivent pas être pris en considération indépendamment les uns des autres, mais qu’ils sont en corrélation les uns avec les autres. Il est incroyablement difficile d’obtenir une vue cohérente de tous les flux d’énergie. C’est là que la science des données vient à notre rescousse.

Koen: Avec nos recherches, nous voulions en outre quantifier les incertitudes. Il existe justement de nombreuses incertitudes concernant les prévisions des charges dans le réseau électrique: comment le comportement des consommateurs évolue-t-il? Quand est produit quelle quantité d’énergie ? Nous ne le savons jamais très exactement. À présent, nous sommes en mesure d’évaluer le degré d’exactitude de nos prévisions à un moment donné et pour un nœud donné. La science des données est utile pour l’analyse d’un système extrêmement complexe qui est influencé par des variables aléatoires et des mécanismes inconnus.

La science des données est utile pour l’analyse d’un système extrêmement complexe qui est influencé par des mécanismes inconnus.

Koen van Walstijn

 
Quelles ont été les méthodes utilisées afin de résoudre votre problème?
Tim: Notre approche se base sur une méthode issue du domaine du «Machine Learning», aussi appelé Deep Learning. C’est un réseau neuronal complexe qui détecte les corrélations en se basant sur des données historiques. Il peut s’agir de données de consommation, de production mais aussi de prévisions météorologiques. Le système utilise ces corrélations pour les prévisions des futurs flux d’énergie par nœud.

Koen: Le mécanisme d’apprentissage fonctionne de telle manière que le modèle génère au départ des valeurs totalement aléatoires. Les résultats sont comparés en continu avec les valeurs correctes, c’est-à-dire les valeurs effectivement mesurées dans le passé. En adaptant l’algorithme, nous avons peu à peu obtenu de meilleurs résultats. Il faut souligner que nous n’indiquons pas explicitement à l’algorithme quelles interdépendances il doit apprendre, mais simplement les objectifs quantitatifs. C’est pour cette raison que l’on dit du système qu’il est auto-apprenant.

Quels ont été les défis à relever durant ce projet?
Koen: Je ne savais pas comment notre travail serait accueilli. Nous souhaitons mettre nos modèles à disposition afin d’aider Swissgrid à surveiller le réseau. Les méthodes employées fournissent des prévisions probabilistes telles que les suivantes: il y a une probabilité de 20 % que la charge soit supérieure à 100 mégawatts. Il n'est pas facile d'intégrer ces prévisions dans les processus opérationnels existants. Nous nous sommes également demandé comment les opérateurs utilisent nos résultats, notamment lorsque ces derniers ne correspondent pas à leur expérience. Il est donc important d’expliciter clairement les opportunités mais également les limites de nos prévisions.

Tim: Il y a eu encore d’autres défis à relever pour ma part: nous avons choisi un modèle théorique issu de la recherche concernant le «Machine Learning». Nous devions désormais utiliser ce modèle avec des données réelles. Nous ne savions pas si cela fonctionnerait aussi bien dans la pratique. L’acquisition des données a également pris beaucoup de temps.

Swissgrid a su reconnaître ce potentiel.

Tim Rohner

 
Et est-ce que le modèle a fonctionné dans la pratique?
Koen: Oui. Notre travail nous a permis de démontrer que ce modèle est utilisable dans la pratique et qu’il est possible de réaliser des prévisions des charges et des incertitudes. J’essaye à présent de le rendre encore plus précis pour mon travail de doctorat. Je prévois également de construire un modèle probabiliste pour l'ensemble du réseau sur la base des prévisions.

Tim: Nous sommes également dans les préparatifs afin de rendre le modèle utilisable dans le quotidien de Swissgrid. Nous accompagnons un projet interne avec pour objectif l’amélioration de la planification de l’exploitation du réseau. Notre travail a en outre démontré qu’il est possible de mener à bien un projet dans le domaine de la science des données dans une entreprise, de l’idée jusqu’à la mise en œuvre. Grâce à l’infrastructure informatique que Swissgrid développe actuellement, il est possible de réaliser des projets en science des données de plus grande envergure. Pour les gestionnaires de réseau, la science des données est particulièrement intéressante car elle est utilisée dans un environnement complexe avec d’importantes quantités de données générées quotidiennement. Swissgrid a su reconnaître ce potentiel.


Résumé du modèle pour les experts

Le modèle est ce que l’on appelle un «Conditional Variational Autoencoder». Il s’agit d’un réseau neuronal spécifique présenté en 2013 et 2014 par Diederik P. Kingma et Max Welling. Le «Variational Autoencoder» apprend une représentation des charges dans l’espace latent («Latent Space»), incluant toutes les corrélations entre des nœuds. Par le biais d’un échantillonnage dans l’espace latent, il est possible de générer différents états du réseau relative à la distribution conjointe des charges.


Nos interlocuteurs

Auteure

Silvia Zuber
Silvia Zuber

Project Manager


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