La disponibilité de l’électricité ne semble plus être une évidence. Les comportements doivent changer pour que cette ressource soit gérée de manière plus durable. Un entretien avec Sebastian Berger, collaborateur scientifique à l'Institut pour l'organisation et le personnel de l'Université de Berne.


Sebastian Berger, «notre côté flemmard», qu’est-ce pour vous ?

C’est une expression populaire pour désigner notre manque de volonté. Il résulte toujours d’un conflit entre les objectifs à court terme et les objectifs à long terme. Nous avons en effet tendance à poursuivre les premiers et à négliger les seconds. On rencontre ce comportement dans de nombreux domaines de la vie, par exemple lorsqu’il faut faire un choix entre consommer et épargner, ou entre aller faire du jogging et se relaxer sur le canapé. Dans le domaine de la protection du climat, il existe aussi un tel conflit d’objectifs: comment pouvons nous poursuivre les développements économiques et sociaux à court terme tout en vivant dans les limites de notre planète avec un climat stable et une biosphère intacte?

Pourquoi n’agissons-nous pas toujours de manière optimale, en dépit du bon sens ?

C’est une question difficile. Que signifie exactement «de manière optimale»? L’optimalité suppose des préférences stables, mais celles-ci peuvent changer. Ce n’est pas parce que nous aimions la viande quand nous étions enfants que nous ne pouvons pas adopter un régime végétarien plus tard. Si nous parlons du comportement en lien avec le changement climatique, nous pouvons dire très clairement que l’humanité ne vit pas en accord avec l’objectif de protéger les limites planétaires. Notre mode de vie occidental menace la stabilité du climat et la biodiversité. Pourquoi agissons-nous ainsi? Il existe de nombreuses réponses à cette question. Un des facteurs importants est ce que l’on appelle les «effets de verrouillage», qui rendent difficile un changement de comportement, par exemple en raison des conditions générales, de l’infrastructure ou des incitations. Les personnes qui vivent à la campagne, par exemple, sont souvent obligées d’utiliser la voiture comme moyen de transport. Et tant que les vols sont moins chers que les voyages en train, il ne faut pas s’étonner que les gens prennent l’avion.

Sebastian Berger, Université de Berne
Sebastian Berger, Université de Berne

Comment un comportement s’installe-t-il ?

Comprendre le comportement est une entreprise complexe. D’une part, il est façonné par la «vie intérieure» d’un individu, avec ses préférences, ses souhaits et ses objectifs. D’autre part, nous sommes influencés par le monde extérieur, par exemple par des incitations financières, des normes et des règles sociales, mais aussi par l’architecture décisionnelle. Dans ce dernier cas, il s’agit de la conception et de la présentation délibérées de choix possibles dans le but de susciter une décision souhaitée. De telles architectures se retrouvent partout: la mouche dans l’urinoir, les paramètres par défaut des applications et des logiciels ou le fait que les bancomats rendent d’abord la carte avant de restituer l’argent. D’un point de vue scientifique et pratique, il est difficile d’analyser les comportements, car la vie intérieure et le monde extérieur s’influencent parfois mutuellement. Les incitations et les normes peuvent agir sur nos préférences. Et par le biais de décisions politiques, ces préférences conduisent ensuite à de nouvelles incitations et normes.

Dans ce contexte, que pensez-vous de la campagne du Conseil fédéral sur les économies d’électricité?

L’appel à faire des économies d’électricité était motivé par les énormes risques pour la sécurité énergétique en Suisse et en Europe. Les campagnes d’information comme celle du Conseil fédéral sur les économies d’électricité sont un élément important pour apaiser les craintes du côté de la demande. La valeur de cette campagne est donc certainement élevée, mais il faut être conscient que celle-ci agit d’abord sur l’attitude et la motivation des gens et pas forcément sur leur comportement. Cependant, personne au Conseil fédéral ne penserait qu’un appel à économiser de l’électricité est la seule réponse à une telle crise.

Comment motiver les gens à utiliser l’électricité de manière plus efficace et plus économique?

Par le passé, l’électricité était tout simplement trop bon marché pour que les gens s’intéressent vraiment à la manière de l’économiser. L’accent était plutôt mis sur les solutions technologiques, comme les appareils électroménagers à haute efficacité énergétique. Cette situation est en train de changer. Les signaux de prix sont probablement l’argument le plus fort pour motiver les gens à économiser de l’électricité. Cependant, l’accès à une quantité d’énergie suffisante fait partie des services d’intérêt général. C’est pourquoi des prix parfois très élevés ne peuvent pas, pour des raisons sociales, être simplement répercutés sur les consommatrices et consommateurs finaux. Les sciences comportementales tentent de faire baisser la demande d’électricité même en l’absence de signaux de prix. Actuellement, de nombreuses études sont en cours avec les fournisseurs d’énergie. Les mesures consistent notamment à convenir d’objectifs communs au niveau de la commune ou du quartier. Ou à communiquer des normes sociales. De nombreuses personnes ne peuvent tout simplement pas estimer la quantité d’électricité qu’elles consomment par rapport aux autres.

De nombreuses personnes ne peuvent pas estimer la quantité d’électricité qu’elles consomment par rapport aux autres.

Sebastian Berger

Pour cela, il faudrait disposer des données correspondantes…

Exactement, et c’est souvent un problème. L’approvisionnement énergétique n’est pas un secteur centré sur les données comme l’est le commerce en ligne, par exemple. De nombreux fournisseurs ne connaissent qu’un numéro de compteur et peutêtre aussi l’adresse électronique de leur clientèle. Pour pouvoir agir de manière ciblée sur le comportement, il faut mieux comprendre les consommatrices et consommateurs, et connaître plus précisément leur consommation. Les compteurs intelligents sont une possibilité, mais ils posent aussi des défis, par exemple en matière de protection des données. Néanmoins, je suis convaincu que les analyses basées sur les données prendront de l’importance à l’avenir, car les systèmes énergétiques deviennent plus décentralisés, plus numériques et plus variables en matière de tarification. Il serait impossible de faire cela sans une technologie appropriée.

Comment susciter des changements de comportement volontaires en matière d’économies d’électricité?

En économie comportementale, on parle de «nudging» lorsqu’on veut pousser subtilement les personnes dans une certaine direction. Personnellement, je préfère le terme «architecture comportementale». Celle-ci consiste à organiser délibérément notre environnement de manière à atteindre les objectifs souhaités. Elle promet un changement de comportement sans pour autant agir sur les prix, c’est-à-dire sans créer d’incitations financières. Il s’agit d’incitations non monétaires, comme la comparaison avec d’autres personnes pour les économies d’électricité. Récemment, le GIEC a analysé la contribution que l’architecture comportementale peut apporter à la protection du climat et aux économies d’électricité. Il s’est avéré que les interventions comportementales sont efficaces, à condition qu’elles soient utilisées conjointement avec des signaux de prix. Le nudging fonctionne donc, mais comme souvent, le diable se cache dans les détails. C’est pourquoi nous appelons toujours à la création de plateformes permettant aux scientifiques et aux acteurs de la société d’élaborer conjointement des solutions. On ne peut pas créer de solutions en restant seul dans sa tour d’ivoire. À cette fin, les connaissances dont disposent les fournisseurs d’énergie sont extrêmement précieuses et pertinentes.


Quelle est la consommation d’électricité de votre ménage?

Les fournisseurs d’électricité n’ont pas de prix unique, mais font varier leurs tarifs en fonction du moment où l’électricité est consommée (jour, nuit, jour de la semaine, saison) et de la quantité consommée (profil de consommation).

5 profils de consommation de ménages types (kWh/an): H1: Logement de 2 pièces avec cuisinière électrique, H2: Logement de 4 pièces avec cuisinière électrique, H3: Logement de 4 pièces avec cuisinière électrique et chauffe-eau électrique, H4: Logement de 5 pièces avec cuisinière électrique et sèche-linge (sans chauffe-eau électrique), H5: Maison individuelle de 5 pièces avec cuisinière électrique, chauffe-eau électrique et sèche-linge, Source: https://www.prix-electricite.elcom.admin.ch/

Des prescriptions contraignantes en matière d’économies d’énergie seraient-elles plus efficaces ?

De manière générale, les mesures contraignantes sont plus efficaces que les mesures non contraignantes, et il vaut mieux recourir à des prescriptions strictes qu’à de simples appels. En même temps, la liberté de choix est dans notre société une valeur centrale que nous défendons. Il serait également difficile d’imposer des prescriptions à certains acteurs. L’État ne sait pas où l’électricité peut être économisée de la manière la plus efficace. La mise en œuvre serait également cahoteuse. Pour pouvoir mettre en place des modèles tarifaires, comme par exemple une tarification en fonction de l’heure, il faudrait une infrastructure couvrant l’ensemble du territoire. Une autre solution consisterait à organiser plus activement les marchés de l’énergie. La question est de savoir comment on peut préserver la liberté économique tout en réalisant des objectifs d’économies. Si nous concevons les marchés de manière intelligente, avec des incitations, mais aussi avec des interventions comportementales, je pense personnellement que nous pouvons obtenir un effet positif sans exercer de contrainte. Les marchés fonctionnent si on les conçoit correctement.

Revenons à notre côté flemmard: comment vous motivez-vous lorsqu’il se manifeste?

De deux manières. D’une part, j’essaie d’éviter les tentations. J’y parviens, par exemple, en laissant dans les rayons du supermarché ce qui n’est pas bon pour la santé afin de ne pas l’avoir chez moi. En même temps, je fais de bonnes expériences en créant de bonnes habitudes. Car quand on fait quelque chose par routine, la flemme n’a même pas le temps de s’installer. D’autre part, ma femme m’aide à atteindre mes objectifs. Les études montrent que le soutien social joue un rôle prépondérant. Contre deux personnes, la flemme a moins de chance de l’emporter.



Auteure

Silvia Zuber
Silvia Zuber

Senior Communication Manager


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